MATTHEY Octave

Octave Matthey est né le 1er mars 1888 dans le froid austère de la Brévine.  Un ans plus tard, ses parents, tous deux instituteurs, embarquent leurs trois fils et s’installent à Serrières dans le bas du canton de Neuchâtel. Dans son autobiographie, il écrit que c’est à l’âge de trois ans, sur les genoux de sa mère, qu’il apprend à lire et à dessiner en traçant les lettres de l’alphabet !  A la fin de son école secondaire, il entre à  la toute nouvelle École d’art appliqué de la Chaux-de-Fonds dans la première volée d’élèves.  Il a comme camarades Charles-Édouard Jeanneret (Le Corbusier), Georges Aubert ou encore Léon Perrin.  Tous s’enrichissent de l’enseignement d’un maître remarquable, Charles l’Eplattenier, qui insuffle à ses élèves une vision artistique classique et une rigueur technique exemplaire.

En 1910 Octave Matthey prend le large. L’Allemagne d’abord. Il reste plusieurs mois à Munich dévorant musées et bibliothèques.  Puis suivent des voyages en Belgique et en Hollande, toujours pour parfaire sa formation. Puis un premier séjour d’un an à Paris. Là encore, écrit Octave Matthey, « je me garde des professeurs, je fréquente les bibliothèques, les musées, les Académies. »  Après un bref retour en Suisse, il traverse l’Atlantique pour New-York. Durant 2 ans il travaille pour la Montague Castle London Company comme peintre sur verre, il reproduit des Rubens et des Botticelli et s’initie à l’art du vitrail.

La guerre de 14-18 le ramène en Suisse sous les drapeaux. Pendant cette période il exécute des centaines de portraits de soldats, de colonels et même celui du général Wille. Fausse modestie ou pas, Octave Matthey rapporte : je dois au Général ce compliment injustifié « Hodler a exigé de moi quarante séances de pose, vous cinq, et ce portrait est mille fois mieux ».

En 1919, Octave Matthey repart pour Paris.  Curieusement il reste éloigné de toute l’effervescence artistique de cette période d’après-guerre, de ce Paris des années folles. Farouchement indépendant, le portrait lui permet déjà de vivre de sa peinture. Parmi ses modèles, des personnalités de renom :   Gustave Fayet, collectionneur pionnier de Van Gogh et de Gauguin, Henri Chrétien, inventeur du cinémascope, ou encore l’écrivain et historien d’art Émile Magne. En janvier 1930, L’Illustration sous le titre « Parisiennes du vaste monde », publie six portraits d’Octave Matthey, de femmes de l’aristocratie. On estime à plus d’un millier ces figures exécutées à Paris et aujourd’hui dispersées en France, en Angleterre, aux Etats-Unis et même au Brésil.

Parallèlement à son activité de portraitiste, il expose dans des galeries et des salons parisiens, « Aux Artistes Français », à « La Nationale » ou encore au « Salon des Indépendants ». Sa peinture, alliant une technique maitrisée à une sensibilité fine reflète son amour pour le dessin, des dessins réalisés à la mine de plomb exigeant des centaines d’heures de travail.  Octave Matthey a la patience d’un joueur d’échec et l’habileté d’un joueur de billard, deux de ses autres passions !

Après avoir passé plus de vingt ans à Paris, il revient en Suisse au début de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’installe à Neuchâtel, où il n’est de loin pas un inconnu, de Paris il exposait régulièrement dans le canton. À lire la presse de l’époque, Octave Matthey s’impose rapidement comme l’une des figures originales de la peinture neuchâteloise. Résolument figuratif, il explore avec aisance le paysage, le portrait, le nu et la nature morte dans des genres et des factures assez différents.  Il participe aux expositions du canton et en organise une par année dans son appartement-atelier de la rue de l’Écluse.

Si Octave Matthey a beaucoup peint, il a aussi beaucoup écrit. Polémiste né, libre penseur, il défend ses idées avec acharnement, sans compromis.  Pendant une dizaine d’années il adresse mensuellement de longs articles à « L’Observateur de Genève », un journal aux idées conservatrices où l’art abstrait y est honni. Le 6 août 1945, jour de la tragédie d’Hiroshima, il entame son journal qu’il intitule « Le Journal de la vie cérébrale d’un peintre ». En 1969, l’année de son décès, il avait rempli 59 cahiers à spitale, de plus de 150 pages chacun. Avec La Feuille d’Avis de Neuchâtel, Octave Matthey entretient un compagnonnage très particulier. Il est sans doute le neuchâtelois qui a le plus écrit au quotidien régional. Rarement pour le féliciter, plus régulièrement pour le critiquer !

Contrairement à beaucoup d’artistes de sa génération, il n’a guère été tiraillé entre les divers courants de son époque, entre modernisme et classicisme. Certes durant ses années parisiennes, sa peinture était marquée de couleurs vives et d’une technique assez proche de l’expressionnisme, à son retour en Suisse, son style évolua vers des compositions plus lisses empruntes d’un raffinement d’un autre temps.  Pour Octave Matthey, la plus belle définition de la peinture, c’est à Eugène Fromentin qu’on la doit « Le but est d’imiter ce qui est, de faire aimer ce qu’on imite. » Homme de conviction il ne s’est guère écarté de ce principe. Il décède à Neuchâtel en 1969.

Marie-Ange Schoepflin

Février 2025